Pertu d’Edina Szvoren, Palatinus, 2010

Premier livre retentissant, grande découverte de la dernière Semaine du Livre à Budapest, le recueil Pertu marque l’entrée en littérature d’une nouvelliste ultrasensible et déconcertante, en maîtrise absolue de ses outils de travail.

Née en 1974, Edina Szvoren commence à publier ses nouvelles en 2005. Très remarqués dans les pages des revues littéraires, ces textes sont enfin réunis dans un recueil, en 2010, par la maison d’édition budapestoise Palatinus. 

« Mes souvenirs les plus lointains sont une tempête vue de la fenêtre de la crèche et une obscénité prononcée par un ivrogne de Fonyódliget » écrit-elle dans sa biographie atypique qui n’est pas sans rappeler le Curriculum vitae de Attila József. 

Vous l’aurez deviné, l’univers d’Edina Szvoren n’est pas franchement idyllique. Les ombres de Sándor Tar, Krasznahorkai ou de János Háy ne sont pas loin. 

C’est un monde plutôt hostile, la famille monstrueuse, le corps impur, la relation entre homme et femme (entre père et mère) systématiquement obscène. La beauté ne peut être tolérée que sur le visage d’un handicapé mental et le sexe dans les bras d’une femme. 

« Mère revient de l’église et elle dit en se déchaussant qu’elle a peur que quelque chose de très mal arrive. Peu importe que père va boire de l’acide chlorhydrique où le chauffe-eau s’arrache du mur parce que la peur, tu l’as déjà vécu » met en garde un passage de Balholmi leányok. 

L’existence est contaminée par avance, on n’est pas obligé de connaître la nature du péché originel pour en subir les conséquences. 

« Glauque », j’entends déjà tomber votre verdict sommaire, mais ce serait sans compter avec cette intelligence lucide qui, à la manière d’une lanterne, illumine chaque phrase et avec ce sens du rythme impeccable qui n’est sans doute pas indépendant de la formation musicale de l’auteur (elle a diplômée à l’Académie de musique Franz Liszt de Budapest). 

« Selon le système Eysenck, j’appartiens au groupe des introvertis stables, mon pouls est à peine à 60, ma tension est basse », dit-elle dans son curriculum. 

Cérébrale comme elle est, on ne serait pas étonné si elle nous fournissait aussi le nombre exact de bonnes phrases nécessaires à la réussite d’une nouvelle. En tous cas, le record est certainement établi avec la nouvelle Ácska, ocskaqui raconte la virée au ZOO d’un drôle de petit père et de sa fille. 

« Père était un garçon de campagne, il a grandi dans un petit hameau. Père a désigné un aulne en l’appelant charme puis il a posé sa main sur le tronc comme s’il était l’épaule d’un collègue (des amis, il n’en avait pas). » 

« La mâchoire de petit père craquait bruyamment parce que ses os se sont mal soudés après une gifle reçue il y a longtemps. » 

« Quand il mangeait chaque bouchée lui déclenchait une douleur perçante dans la tête. Un jour, petit père s’est évanoui à cause d’un toast. »

 

Gábor Orbán