Questionnaire littéraire pour trois écrivains hongrois – Benedek Totth

Où il est question de Paris, des foires internationales, du lecteur idéal et de bien d’autres choses encore.

« Qui a connu son étreinte, toujours languit de la retrouver, qui a contemplé ses charmes, jamais ne les oublie et qui a laissé échapper ne serait-ce qu’une minute d’instants amoureux partagés avec cette ville, le regrette à jamais ! », écrivait en 1925 le hongrois Attila Orbók dans son guide de voyage consacré à Paris (1).
Quelle relation entretenez-vous avec la capitale française ?

Les grandes villes me mettent toujours dans l’embarras. Paris ne fait pas exception. Tout simplement, ces grandes métropoles, quelle que soit leur splendeur, me laissent un sentiment profond d’inaccessibilité. J’ai visité Paris à deux reprises dans ma vie, la première fois, j’étais encore un enfant. J’ai conservé de nombreuses photos de ce voyage. Trente ans plus tard, je suis de retour dans la capitale française et j’espère ne pas attendre à nouveau trente ans pour ma prochaine visite, car bien sûr la liste des endroits à visiter absolument s’est depuis sensiblement allongée.

« Il ne faut pas avoir peur des écrivains, c’est une espèce animale inoffensive. L’autorité supérieure doit trembler devant les lecteurs. Même si un bon écrivain est au moins un lecteur moyen. » (Péter Esterházy). 
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Quel type de lecteur êtes-vous ?
Par où commencez-vous la visite d’un salon du livre international ?

À mon grand regret, je suis un lecteur lent, ou disons, pour être indulgent envers moi-même, au mieux moyen. J’éprouve donc globalement pour les foires du livre le même sentiment qu’à l’égard des grandes villes : trop de stimulation, loin de m’inspirer, une telle masse d’information en si peu de temps a tendance à me décourager. Cependant, cela réchauffe toujours le cœur de voir tant de personnes s’intéresser au livre dont la disparition a été tant de fois redoutée.

« Je ne veux qu’un lecteur pour mes poèmes :
Celui qui me connaît – celui qui m’aime » 
(Attila József, Je ne veux qu’un lecteur…) 
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Pour vous, quel serait le lecteur idéal ?
Accepteriez-vous de donner un quelconque conseil à celui qui s’apprêterait à lire vos textes pour la première fois ?

Pour moi, le lecteur idéal est celui lit mes romans jusqu’au bout et les aime. Je ne pourrais pas donner de définition plus sérieuse.Concernant les conseils de lecture : si le début vous semble intimidant, n’abandonnez surtout pas à la première page. Sous des traits grossiers peut cacher une âme sensible.

« […] il me semble que traduire d’une langue dans une autre, à moins que ce ne soit des reines de toutes les langues, la grecque et la latine, c’est comme quand on regarde les tapisseries de Flandres à l’envers […] » (Cervantes, Don Quichotte) (4)
Quelle relation entretenez-vous avec les traductions de vos œuvres ?

Malheureusement, je ne lis que l’anglais, dès lors je ne dispose que d’informations de seconde main sur la traduction française de Holtverseny. Jusqu’ici, les louanges sont unanimes, ce qui me réjouit car je sais combien de travail cela a représenté pour les traducteurs Natalia et Charles Zaremba. Pour la traduction anglaise, ce sera un peu différent, parce que je pourrai la lire, mais j’éprouverai un sentiment similaire : l’impression que la traduction et mon texte sont deux choses différentes. Et d’une certaine manière, c’est vrai. J’éprouve une grande admiration pour les traducteurs dont le travail est malheureusement méconnu.

(1) Attila Orbók, Párisi notesz azoknak, akik Párisba mennek [Carnets parisiens à l’usage des visiteurs]
(2) Péter Esterházy, A kitömött hattyú [Le cygne empaillé]
(3) Attila József, Aimez-moi. L’œuvre poétique, dir. Georges Kassai et Jean-Pierre Sicre, Phébus, 2005
(4) Cervantes, Don Quichotte, Tome 2, trad. Louis Viardot

Le roman traduit en français de Benedek Totth:
Comme des rats morts, trad. Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, Actes Sud, 2017

Interview : Gábor Orbán
Traduction : Anne Veevaert