Hommage à György Kassai

Georges Kassai s’est éteint le 9 juillet 2025 à Paris, à l’âge de 102 ans. Il était non seulement linguiste, auteur de méthodes de langue, ancien directeur de recherche au CNRS, mais aussi et avant tout le doyen des traducteurs de la littérature hongroise. Il a traduit en français les œuvres d’une cinquantaine d’auteurs hongrois, dont Sándor Márai, Tibor Déry, Miklós Szentkuthy, György Konrád, Miklós Mészöly, Péter Nádas, Ferenc Sánta ou Attila József – qu’il connaissait, grâce à son beau-père, Andor Németh, personnellement.

Nous lui rendons hommage par trois textes rédigés en son honneur et en son souvenir, par Jonathan Lacôte, Thomas Szende et György Tverdota.

Jonathan Lacôte est Ambassadeur de France en Hongrie. Il est diplômé de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) en hongrois et estonien.

Thomas Szende est professeur des universités (langue et civilisation hongroises) à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il est  auteur de nombreux ouvrages et de plusieurs méthodes de langues avec Georges Kassai, notamment, entre autres, Le hongrois sans peine (1989), Grammaire fondamentale du hongrois (2007), Le hongrois tout de suite (2012).

György Tverdota est chercheur et professeur émérite, ancien directeur-adjoint du Centre Interuniversitaire d’Études Hongroises, auteur de nombreux ouvrages en hongrois et en français sur la littérature hongroise du 20e siècle et notamment d’un ouvrage consacré à Andor Németh, le beau-père de Georges Kassai.

 

Hommage à Georges Kassai par Jonathan Lacôte

J’apprends cette triste nouvelle au moment même où je pose une œuvre traduite par Georges Kassai sur ma table de chevet.
Nous perdons l’un des plus grands passeurs entre la culture hongroise et le public français. Traducteur d’un nombre considérable d’œuvres représentant un large spectre de la prose et de la poésie hongroises, Georges Kassai laisse derrière lui une part importante du patrimoine littéraire hongrois traduit en français. Il aura notamment contribué à faire connaître aux lecteurs francophones l’œuvre d’Attila József, que j’ai découverte à travers son cours à l’Inalco – Langues O’ spécifiquement consacré à l’étude de ce poète à travers la psychanalyse.
Je me souviens d’un enseignant rigoureux, exigeant, passionné et, il y a 30 ans, forçant le respect de par ses traductions.
Tous ceux qui ont approché le hongrois à travers l’auto apprentissage se souviennent également qu’il est le coauteur avec Thomas Szende de l’indispensable Assimil Le hongrois sans peine, l’un des plus efficaces et, étonnamment, l’un des plus brefs de la collection.
Au cours des dernières décennies, nul n’aura appris le hongrois ou découvert la littérature hongroise sans recourir à l’apport direct ou indirect de Georges Kassai.

Je présente mes condoléances a sa famille, à ses proches, à ses collègues, ainsi qu’à tous ceux qui ont bénéficié de son enseignement et apprécié ses traductions.

 

Hommage à Georges Kassai par Thomas Szende

Georges Kassai (Kassai György) vient de nous quitter.

Ancien directeur de recherche au CNRS, auteur d’une monumentale thèse de doctorat d’État sur la stylistique comparée du français et du hongrois, Georges Kassai laisse une œuvre d’une richesse exceptionnelle.

Eminent traducteur de la littérature hongroise, linguiste, auteur d’outils d’apprentissage, théoricien de la traduction et de la psychanalyse, il a publié en français la quasi-totalité de l’oeuvre poétique d’Attila József.

Ceux qui l’ont côtoyé au CNRS, à Paris 7, à Paris 3 et à l’Inalco, collègues, thésards ou anciens élèves gardent le souvenir d’un homme d’une immense culture, doué d’une finesse d’écriture et d’observation remarquable.

 

Hommage à Georges Kassai par György Tverdota

« Comme des émigrants anxieux,
le nouveau monde nous attend aussi »

György Kassai est décédé à Paris dans sa 103e année. Avec lui, c’est le doyen de l’émigration hongroise en France qui s’en est allé. Nous savons scandaleusement peu de choses sur lui, et nous traitons avec négligence nos compatriotes qui, dans un environnement culturel étranger, s’engagent volontairement à diffuser la culture hongroise.

Le destin de György Kassai l’a profondément enraciné dans la vie culturelle hongroise. Son père adoptif était Andor Németh ; il a rencontré Attila József, et a grandi aux côtés de Ferenc Karinthy, le fils de Frigyes Karinthy. Son amitié avec Tibor Déry l’a accompagné tout au long de sa vie. Même en exil, il est resté en contact étroit avec Ferenc Fejtő. Comme tant d’autres, les bouleversements de l’histoire l’ont contraint à quitter sa patrie. Dans son pays d’adoption, il a su se reconstruire.

Chercheur au CNRS, il fut principalement collaborateur du linguiste Martinet mais son intérêt pour la littérature l’a conduit à travailler aussi avec les formalistes, Barthes, Genette, Kristeva, mêlant recherche linguistique et perspectives psychanalytiques. Il a entretenu des liens étroits dans les milieux analytiques, notamment avec Miklós Ábrahám, lui aussi exilé, et le psychanalyste français François Sauvagnat. Il a finalement enseigné à la Sorbonne.

Il s’est réconcilié avec sa patrie. Il n’a pas cherché l’assimilation, mais a choisi la médiation entre la culture française et hongroise. Il a généreusement mis à profit ses positions, notamment ses liens avec les éditeurs français, au bénéfice de son pays natal. Suivant l’exemple de son maître et soutien László Gara, il a fait de cette médiation sa vocation. Il a traduit en français un grand nombre d’ouvrages hongrois, principalement de la prose : Kosztolányi, Móricz, Karinthy, Déry, Márai, Miklós Mészöly, Magda Szabó, Szentkuthy. Il a également traduit des auteurs contemporains, de György Konrád à Iván Sándor. Il a aussi traduit des ouvrages scientifiques, comme Les instincts archaïques de l’homme d’Imre Hermann. Il a été moins actif dans la traduction de poésie, mais aucun autre n’a fait autant que lui pour faire reconnaître Attila József en France. Il a joué un rôle déterminant dans la publication, l’année du centenaire, du volumineux recueil Aimez-moi.

Jusqu’à la fin, il est resté lucide et curieux d’esprit. Durant ses dernières années, il s’est consacré à ses auteurs de prédilection : Attila József et Marcel Proust. En tant que linguiste de formation, il a exploré à travers Proust les questions de la théorie de la traduction, fasciné par la possibilité de surmonter les limites des langues. Il avait déjà auparavant coécrit un manuel de hongrois avec Tamás Szende à l’intention des jeunes Français désirant apprendre la langue. Au printemps, peu avant sa mort, mon fils lui a rendu visite : il lisait Montaigne.

Nous étions unis par notre passion commune pour Attila József. Ensemble, nous avons organisé deux colloques à Paris pour faire connaître ce grand poète. Lors de la rédaction de ma monographie sur son père adoptif, Andor Németh, il a partagé avec moi ses connaissances remarquablement riches sur la vie littéraire et culturelle de l’entre-deux-guerres, ainsi que sur celle des exilés hongrois pendant la guerre.

C’est donc aussi personnellement que je lui fais mes adieux.

Cher Gyuri, repose en paix.