Niki ou L’histoire d’un chien Tibor Déry

«Pour autant qu’on pouvait le distinguer dans le crépuscule où baignait le jardin, c’était un fox-terrier, sans doute un croisement de fox à poil dur et de fox à poil ras. Son corps svelte était recouvert d’un poil blanc court et lisse, sans tache ni éclaboussure. Seules les oreilles étaient noisette, avec un trait noir à la naissance. Par une de ces coquetteries dont la nature est prodigue, le dessin et la couleur, à l’attache de chacune des oreilles, n’étaient pas symétriques. De l’oreille gauche, une raie noisette descendait jusqu’aux cils en passant par le dessus de la tête. Au-dessous de l’oreille droite, la gueule était d’une blancheur immaculée, mais derrière l’oreille le trait noir, comme pour faire un contraste amusant avec la blancheur de la gueule, descendait profondément sur la nuque, dépassant la ligne où, d’habitude, les chiens portent le collier. Là, il s’élargissait en une sorte de carré noir, pour autant que la nature consente à former des carrés et autres figures géométriques régulières. Ajoutons deux grands yeux luisants à la base d’une tête allongée en triangle, à la pointe duquel brillait un petit nez noir comme astiqué au cirage, et nous aurons dessiné à grands traits la gracieuse silhouette qui venait de s’installer aux pieds d’Ancsa.»

L’histoire de Niki, une chienne ordinaire, et des Ancsa, un couple non moins ordinaire, est une parabole extraordinairement émouvante, – sans jamais donner dans la sensiblerie -, sur l’attention, la gentillesse et la résistance de l’amour.

Tibor Déry (1894 – 1977)

Issu de la bourgeoisie fortunée, ses premiers textes, expressionistes, paraissent dans la revue Nyugat en 1917. Entré au Parti communiste, il participe à la Commune dans une commission d’écrivains, et doit émigrer après la chute de la République des Conseils. A Vienne il devient collaborateur de la revue Ma et publie ses premiers poèmes et récits surréalistes. A Paris pendant deux ans, il entre en contact avec les mouvements d’avant-garde avant de rentrer provisoirement en Hongrie en 1926 où il collabore, avec Illyés et Kassák, à la revue Dokumentum et s’illustre comme théoricien et poète du surréalisme. Se déplaçant dans toute l’Europe dans la première moitié des années 1930, il se détourne de l’avant-garde pour entreprendre La Phrase inachevée, fresque réaliste de la Hongrie de l’entre-deux-guerres, qui ne pourra être publiée qu’en 1947. Alors qu’il avait été distingué par le nouveau régime, son roman La Réponse (1950-1952) est attaqué par la critique stalinienne. Condamné à neuf ans de prison pour sa participation à la révolution de 1956, il bénéficie en 1960 d’une amnistie. Il publie en 1964 un roman que l’on peut qualifier de contre-utopique, M. G. A. à X, suivi en 1966 de L’Excommunicateur, qui exprime le scepticisme de l’homme déçu par l’action politique. Il bénéficie d’une importante reconnaissance à l’étranger, grâce à de nombreuses traductions, y compris en français dans les années 1950 à 1970.

Traduit de l’hongrois par Imre Laszlo
Postface László F. Földényi
Editions Circé, 2010