Interview avec Eszter Balázs, maître de conférence au sein du département Communication et études des médias de l’Ecole supérieure János Kodolányi.
Quels enseignements nous réserve l’étude de l’activité de l’intelligentsia hongroise pendant la guerre ?
Comme la guerre elle-même, cette activité peut être divisée en plusieurs phases. A l’instar des groupes d’intellectuels des autres pays européens, au début de la guerre, l’intelligentsia hongroise s’est mobilisée : ses représentants sont pour la plupart restés à l’arrière du front, participant à l’effort de guerre avec les outils qui leur étaient propres. Pourtant, au bout d’un an, les anciennes fissures sont réapparues dans la vie intellectuelle hongroise : le débat sur l’autonomie de la littérature s’est ranimé, les points de vue sur la guerre se sont mis à diverger.
La revue emblématique du modernisme littéraire en Hongrie, Nyugat a-t-elle participé à la propagande guerrière ou « s’est-elle tue » à la manière de la Nouvelle Revue française ?
A l’époque de l’ivresse guerrière, c’est-à-dire au tout début du conflit, la majorité des écrivains de Nyugat considéraient les événements avec un optimisme retenu. Ce fut la première réaction. Au cours des mois qui ont suivi, les analyses acclamant la culture allemande, supérieures en nombre, ont été publiées aux côtés de celles, moins nombreuses, qui demeuraient fidèles à la culture française. De temps en temps, des débats éclataient entre les deux camps, comme celui qui a opposé Dezső Szabó à Géza Laczkó au sujet de « l’âme française ». A partir de janvier 1915, la critique de l’engagement guerrier ou encore l’autocritique ont pris une place plus importante dans la revue. Le véritable tournant est intervenu en août 1915, quand la revue a publié le poème pacifiste de Mihály Babits [Húsvét előtt NDT] et l’article critique de Hatvany dénonçant l’attitude va-t-en-guerre des intellectuels européens. Ces deux textes ainsi que le pacifisme d’Ady ont conduit à un conflit ouvert entre Nyugat et les journaux pro-guerre, proches du gouvernement. Malgré ce scepticisme, la revue respectait un « programme minimal » en publiant des poèmes et des récits sur des thèmes guerriers. A partir de 1916, la revue devient populaire également dans les tranchées où les journaux avant-gardistes, radicalement pacifistes n’avaient pas leur place. D’ailleurs, la NRF a eu beau suspendre son activité pendant la guerre, ses collaborateurs continuaient à commenter la guerre dans leurs journaux intimes et correspondances qui témoignent de la même dynamique de mobilisation-démobilisation.
Eszter Balázs est l’auteur d’une thèse rédigée en français, En tête des intellectuels : les écrivains hongrois et la question de la liberté et de l’autonomie littéraires (1908-1914), publiée en hongrois sous forme de livre Az intellektualitás vezérei Viták az irodalmi autonómiáról a Nyugatban és a Nyugatról 1908-1914, Napvilág Kiadó, 2009.
Interview par Gábor Orbán
Illustration : Ernő Szép vers 1915