C’est à un voyage rude et puissant en Europe centrale, dans la Mitteleuropa, que nous invite ce nouveau volume de la collection « Miniatures », qui en compte désormais trente-six, sur ce principe de la mise en valeur des rouages intimes d’un pays vu par ses propres auteurs contemporains. Depuis la révolution de 1956 réprimée dans le sang par le pouvoir soviétique, depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition progressive du rideau de fer, depuis l’ouverture de la Hongrie à l’Europe de l’Ouest et au monde dans la foulée, cette Mitteleuropa ne cesse de se reconstituer à l’intérieur de l’Union européenne, sur les ruines de l’ancien Empire austro-hongrois. Les sept frontières actuelles de la Hongrie, avec l’Autriche, la Slovaquie, l’Ukraine, la Roumanie, la Serbie, la Croatie et la Slovénie, disent bien à quel point cette terre magyare, forte de dix millions d’habitants, est au cœur de l’Europe centrale. La culture hongroise, c’est d’abord une langue, une langue qui a survécu comme un îlot au milieu d’un océan de parlers indo-européens et dont les nombreux emprunts au slave et au germanique n’ont pas altéré la structure profonde, marquée par l’agglutination et l’harmonie vocale. C’est ensuite le triangle de création artistique Prague-Vienne-Budapest, l’un des plus fertiles de l’histoire de l’humanité. Musique, peinture, architecture, littérature, cinéma, psychanalyse : le xxe siècle s’inventa notamment dans ces villes. Béla Bartók, Franz Liszt ou György Ligeti pour la musique ; Magda Szabó, Sándor Márai, Dezső Kosztolányi, Péter Esterházy ou Péter Nádas pour la littérature ; István Szabó ou Béla Tarr pour le cinéma – ces noms ont marqué en profondeur la conscience culturelle européenne. La Hongrie, enfin, traversée, retraversée, ballottée en tous sens par l’histoire européenne, s’est forgée d’elle-même une image qui n’est pas toujours celle que nous lui prêtons. Sentinelle auto-proclamée d’une Europe dont elle s’estime parfois mal-aimée malgré son indéfectible conviction d’en faire partie intégrante, elle nous demande un effort de compréhension plus exigeant sans doute que celui auquel le traitement de l’actualité nous donne droit. Les six nouvelles réunies dans ce recueil, traduites par un couple emblématique de cette « évidence » européenne (lui est belge, elle hongroise), ont été écrites par des auteurs nés pour la plupart dans la Hongrie communiste. Elles constituent une photographie de la littérature hongroise d’aujourd’hui. Distanciation, ironie, crudité, expressionisme, sens de l’Histoire, allusions politiques marquent ces textes. À l’instar des ponts qui relient Pest l’industrieuse et Buda la vénérable, puissent-ils donner au lecteur l’envie de passer de l’autre côté du miroir et de découvrir cette « île enclavée » en plein centre de notre continent, si éloignée et pourtant si proche.
Grégory Dejaeger et Pierre Astier
Magellan et Cie, 2017
Traduit par Grégory Dejaeger et Eva Kovacs