L’odeur humaine d’Ernő Szép

L’odeur humaine

L’Odeur humaine est le dernier roman d’Ernő Szép : publié en 1945, peu après la libération du pays de l’occupation allemande et du régime du parti fasciste hongrois, les Croix fléchées de Ferenc Szálasi, ce roman autobiographique relate quelques mois de la vie d’un écrivain juif en 1944 à Budapest.
Le récit porte sur une période assez brève, entre deux dates historiques décisives, puisque les faits s’inscrivent entre le 19 mars 1944 – la prise de possession du sol hongrois par les forces du Reich – et le 10 novembre de la même année – début des marches forcées qui marquent la dernière étape de l’holocauste des juifs hongrois.
Quasiment linéaire dans sa narration, écrit à la manière d’un journal, le roman est caractérisé par un ton étrangement posé, dénué de tout pathos, teinté d’humour – parfois cruel – et d’une sorte de nostalgie omniprésente. Cette chronique minutieuse est émaillée d’une foule de détails qui, malgré leur apparente banalité, prennent une importance démesurée, face à la proximité extrême de l’anéantissement des êtres humains.
La première partie du roman relate la vie quotidienne d’une « maison étoilée » (non donné aux immeubles où les juifs de Budapest étaient confinés). Avec autant de tendresse que d’ironie, Szép se souvient de ces journées de semi-enfermement, où l’ennui, la peur et les privations jouent comme des révélateurs de la grandeur ou de la mesquinerie de chacun. La seconde partie commence le 20 octobre, jour où les hommes de l’immeuble vont être déportés dans un camp de travail non loin de Budapest, afin d’y creuser les tranchées destinées à défendre la ville de l’approche des troupes russes. De brefs épisodes se succèdent, décrits avec une objectivité presque journalistique, montrant la cruauté dramatique des traitements infligés aux détenus. Le narrateur est autorisé à rejoindre sa famille le 9 novembre : le livre s’achève, alors que le pire, la phase finale de l’extermination des juifs de Budapest, va débuter. Consciemment, Ernő Szép choisit de faire cesser son récit au seuil de l’indicible.
Ernő Szép
 
Ernő Szép est né en 1884 à Huszt, à l’est de l’empire Austro-Hongrois, au sein d’une famille juive modeste. Après avoir achevé ses études secondaires, il s’installe à Budapest. Journaliste, il se produit aussi sur les scènes des cabarets, interprétant ses propres textes et chansons. Poète, romancier, dramaturge, il devient rapidement un auteur très populaire, dont les œuvres – une trentaine de volumes – sont connues de toutes les couches de la société. Il gagne également l’estime des cercles littéraires : collaborateur de la revue Nyugat à partir de 1912, il est l’ami de Endre Ady, de Ferenc Molnár.
Auteur urbain, poète de la ville, il a habité 33 ans durant sur l’Île Marguerite, au cœur de Budapest. Sous le coup des lois anti-juives, dont la rigueur s’accroît dramatiquement entre 1935 et 1944, il doit quitter son appartement pour venir vivre dans le ghetto de Budapest. Il a miraculeusement survécu à l’extermination des juifs de Hongrie, contrairement à ses deux frères, assassinés, et à sa sœur, « disparue ».
Après la prise de pouvoir des communistes en 1948, il cessera pratiquement de publier, et se retire de la vie publique et littéraire. À la fin des années 70, son œuvre sera redécouverte grâce à l’action du grand poète et écrivain Dezsö Tandori, qui considère Szép comme l’un des plus grands maîtres de la littérature hongroise du XXe siècle.
Traduit du hongrois par Marc Martin
Editions Cambourakis, 2010